Claude Fischer Herzog, la directrice des Entretiens Européens, se réjouit de la bonne tenue des Entretiens qui se sont déroulés dans un agenda communautaire important, à la veille de la COP 26 et du Conseil européen, et dans une actualité brûlante.
Ils ont rassemblé 300 personnes en salle et par zoom dont 41 intervenants, représentant des acteurs de la société civile de 14 pays d’Europe et du monde, pour 15 heures d’échanges constructifs entre eux et avec les institutions communautaires sur la valorisation et le financement des projets nucléaires en Europe.
Le soutien et la participation active de la Commission européenne, et en particulier de la DG ENER et de la DG COMP, ont donné une dimension publique à ce débat qui doit se développer : c’est un enjeu démocratique car les choix engagent durablement nos sociétés.
L’Europe traverse une crise énergétique avec l’explosion des prix de l’énergie. Et si ce n’est ni la première crise, ni la dernière, comme l’a rappelé Massimo Garriba, il ne s’agit pas de la banaliser ! Ou d’attendre qu’elle passe… mais au contraire d’en profiter pour (ré)ouvrir le débat sur la réforme du marché européen de l’électricité. Il dysfonctionne et favorise le développement des renouvelables au détriment d’une électricité décarbonée en base pilotable, capable de fournir de l’électricité en continu à tous, et à des prix abordables. Or ce besoin d’une base consolidée est redoublé dans le contexte de croissance exponentielle de la consommation électrique, avec l’électrification des usages dans tous les secteurs de la vie sociale et économique.
L’électricité décarbonée en base est produite par le nucléaire qui joue, avec l’hydraulique, un véritable rôle de service public. Pour Les Entretiens Européens, c’est un bien public. Dieter Helm l’a comparé aux grandes infrastructures de distribution de l’eau au Royaume-Uni qui nécessitent une intervention publique. Or ce bien public n’est pas reconnu par l’Union Européenne. Certes l’UE reconnaît aux Etats la liberté de choix du nucléaire, mais celui-ci est pénalisé de fait par des règles de marché qui dissuadent les investissements de long terme, et par les prix spot très volatils qui privent les entreprises productrices et consommatrices d’électricité nucléaire de visibilité à long terme et de stabilité. Par ailleurs, les Etats anti-nucléaires sont vent debout pour leur interdire l’accès à son financement alors que des investissements massifs sont nécessaires au renouvellement du parc européen avec la construction de grandes centrales de génération 3 dans plusieurs pays d’Europe. L’Allemagne conduit la bataille en tête au nom de ses intérêts nationaux et de la promotion du gaz qu’elle compte bien dispatcher dans toute l’Europe pour compenser l’intermittence des renouvelables, et ce au détriment du climat.
Les Etats nucléaires doivent retrouver la maîtrise de leurs choix et s’allier pour gagner la reconnaissance du nucléaire en Europe, bénéficier de garanties publiques et monter en compétitivité face aux grandes puissances du monde, qui, comme on l’a entendu, soutiennent leur industrie et sont très offensifs sur les marchés européens et mondiaux.
Les Entretiens Européens ont multiplié les propositions. Je retiendrai cinq options essentielles :
- Obtenir le statut de SIEG (service d’intérêt économique général) pour l’électricité nucléaire dans les Etats qui le demandent et pour les entreprises missionnées pour la fourniture d’électricité en continu et à tous : une co-responsabilité entre Etat et Union reconnue dans le Traité de Lisbonne suite au rapport Herzog (2004) et l’initiative de Mario Monti (2007).
- Obtenir les labels et garanties pour tous les investissements nucléaires dans la taxonomie : une bataille à mener à son terme, en veillant à ce que la Commission ne choisisse pas les technologies à la place des Etats. Si celle-ci privilégie les SMR au détriment des centrales de 1000 MGW et des EPR, le risque est grand pour que ces dernières en soient exclues, ce qui aurait des conséquences en chaîne pour le renouvellement du parc.
- Obtenir des garanties et incitations pour financer les investissements nucléaires qui sont lourds et à rentabilité différée. Or les Etats sont renvoyés à leur responsabilité pour présenter les montages financiers compatibles avec les règles du marché actuel. La Commission nous a dit que la décision ne dépend que d’eux, alors qu‘elle refuse les aides d’Etat au nom de la concurrence. Il faut réformer le marché pour « dérisquer » les investissements : elle doit entendre la demande des acteurs financiers dont la présence a été très positive pour comprendre comment mobiliser l’épargne, réunir les investisseurs institutionnels, construire des partenariats publics-privés adaptés pour financer les projets. Parmi eux, le RAB (base d’actifs régulés) a fait l’objet de beaucoup d’intérêt.
- Créer une alliance des Etats nucléaires et des sociétés civiles (y compris celles des Etats non nucléaires) pour faire front et développer des coopérations structurées sur l’ensemble de la filière. Comment associer le Royaume-Uni, et les acteurs qui agissent en Belgique et s’expriment de plus en plus nombreux en Allemagne pour maintenir les centrales nucléaires en activité ? Les représentants de Finlande, de France, de Hongrie, de Pologne et de la République tchèque, ont exprimé leur volonté de coopérer, et au-delà des pétitions communes en direction des institutions, ils pourraient nouer comme l’a soutenu Joszef Szilagyi de Hongrie, un pacte de solidarité électrique.
- Impliquer les sociétés civiles dans le débat. Les entreprises, productrices et consommatrices, les collectivités territoriales, les organisations d’usagers, les syndicats, tous présents au colloque, se sont exprimés avec beaucoup d’intelligence, et ont formulé de nombreuses propositions : ils doivent être écoutés et entendus. Ils doivent participer aux choix collectifs et à leur mise en œuvre, et les pouvoirs publics et les institutions communautaires en Europe ont le devoir de mettre en place une évaluation démocratique de leurs politiques, ce qu’ils ne font pas, alors que les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Des recommandations vont être envoyées aux institutions avant le Conseil de décembre, et nous prolongerons la réflexion en 2022 sur les enjeux géopolitiques du nucléaire. Ceux-ci sont cruciaux pour construire une filière européenne compétitive, assurer notre indépendance énergétique et développer des coopérations dans le monde entier. Ils seront au cœur de la 20ème édition des Entretiens Européens.
La Lettre des Entretiens Européens, à paraître avant la fin de l’année, reprendra les interventions sous forme d’articles : elle sera publiée en deux langues et diffusée à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires en France et en Europe.
Retrouvez toutes les vidéos de l’événement !
Ouverture : l’avenir du nucléaire en pleine actualité
Session 1 : Un bien public européen
Session 2 : la spécificité des investissements nucléaires
Session 3 : les coûts/avantages des projets en Europe
Session 4 : le marché de l’électricité européen et sa réforme
Session 5 : taxonomie
Session 6 : des montages financiers pour réduire les coûts de capital
Session 7 : réunir des investisseurs
Session 8 : comparaison des politiques publiques avec Chine, Russie et US
Session 9 – L’enjeu nucléaire dans le contexte économique et politique
Session 10 : la création d’un secteur industriel entre les états de l’UE
Session 11 : unir les états nucléaires et les sociétés civiles en Europe